J'entrai et la pris dans mes bras. Je sentis ses ongles sur ma nuque. Elle sanglotait. Je savais qu'il ne s'agissait ni de moi ni d'elle. Il s'agissait de dénuement. C'était seulement un moment d'entraide. Nous avions besoin d'oubli, tous les deux, de gîte d'étape, avant d'aller porter plus loins nos bagages de néant. Il fallut encore traverser le désert ou chaque vêtement qui tombe, rompt, éloigne et brutalise, ou les regards se fuient pour éviter une nudité qui n'est pas seulement celle des corps, et ou le silence accumule ses pierres. Deux êtres en déroute qui s'épaulent de leur solitude et la vie attend que ça passe. Une tendresse désespérée, qui n'est qu'un besoin de tendresse. Parfois nos yeux se cherchaient dans la pénombre pour braver le malaise. Une photo de fillette sur la table de chevet. Un portrait maladroit, sans doute peint de mémoire. Ce que nous avions de commun était chez les autres mais nous unissait le temps d'une révolte, d'une brève lutte, d'un refus du malheur. Ce n'était pas entre nous deux: c'était entre nous et le malheur. Un refus de s'aplanir sous les roues, d'ainsi soit-il. Je sentais ses larmes sur mes joues. J'ai toujours été incapable de pleurer et c'était un soulagement qu'elle m'offrait. Dès qu'il y eut, chez elle, regret ou remords, chute, gêne et culpabilité, elle se leva, mit un peignoir, alla se recroqueviller dans un fauteuil, les genoux sous le menton. Je ne m'étais encore jamais vu un tel inrus, dans un regard de femme.
-Je vous en prie, dit-elle.
-Bien.
Mes vêtements trainaient sur la moquette et je commençai à les remplir.
-Je ne sais pas du tout pourquoi j'ai fai ça...
-Petit suicide, dis-je.
Romain Gary
Clair de femme.
mercredi 9 septembre 2009
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